Première Partie Chapitre 2
Pendant tout le dîner, je n'avais pratiquement pas ouvert la bouche,
sauf pour manger. Je n'attendais qu'une seule chose, la soirée qui
allait suivre. Je ne me doutais pas qu'au même moment un nombre
incalculable de métros circulaient, déversaient et aspiraient la masse
informe des voyageurs anonymes, que tout fonctionnait normalement,
et que cette organisation magnifique allait s'effondre au moment précis
oùj'allais me rendre sur le quai.J'avais lu plusieurs essais qui
critiquaient la mécanisation du monde. Les machines prenaient de plus en plus de place, elles s'imposaient progressivement dans toutes les sphères de la vie.
Il fallait procéder méthodiquement. Je ne voyais que deux endroits
possibles. Le métro et le pressing. Le souvenir de la mise en garde
contre les pickpockets, à la station Bastille,
suffit à me faire perdre tous mes moyens. Je me voyais déjà sur l'un
des sièges canari du quai en train d'attendre ce métro de
malheur.J'imaginais très facilement un type passer devant moi sans
susciter mon attention et, avec l'adresse d'un professionnel, me voler
mon portable. Ou alors dans le métro. La femme, son gosse et la grand-mère étaient peut-être de mèche. Le premier,
le petit, avait pour mission de me distraire, la grand-mère de
m'amadouer, et la femme de me chiper le téléphone. L'autre possibilité
était celle du pressing. Je l'avais peut-être oublié sur le comptoir.
C'était le scénario le plus réconfortant.